Publié le : 02 May 2017
Catégories : Gouvernance, Institutionnel, Juridique, Mise en débat, Social
Des surfaces très étendues pour un élevage quasi sauvage des bovidés
Les surfaces des pâturages de Malaimbandy sont extrêmement étendues. L’on parle ici de plusieurs milliers d’hectares hérités d’une tradition de logique nomade et de transhumance[1] où le bétail est laissé libre pâturer là où l’herbe pousse et là où il y a de l’eau, sans être limité par des clôtures physiques. Par contre, malgré cette grande surface, ces pâturages sont délimités par les différentes communautés qui les utilisent grâce à des marqueurs physiques consensuels: rivière, route, collines, arbres….
Il est important de faire la différence entre le « kijàna », de surface plus réduite, et qui sert pour rassembler les zébus, et les « tanin’aômby », qui désignent vraiment les pâturages, là où les zébus sont laissés libres pour chercher de l’herbe à brouter. Le « kijàna » se réfère plus aux enclos, et ne sont utilisés que pour des périodes limités dans le tempset dans l’espace pour effectuer le comptage des zébus et s’assurer qu’ils sont encore complets.
L’on constate aussi le nombre élevé de bovidés dans cette Commune. Selon le Maire de la localité, Mr KASSAMALY Reza, l’élevage de zébu constitue 40% des revenus de la Commune grâce aux différentes transactions générées par le marché du zébu, et la Commune compte actuellement près de 10.000 têtes de zébus. Un propriétaire de zébus peut facilement avoir jusqu’à 500 têtes de zébus qu’il laisse librement paître dans les pâturages environnants. Toutefois, face à la récurrence des attaques des « dahalo » pour les vols de bœufs, le nombre de zébus s’est considérablement amenuisé ces dernières années.
Un mode d’attribution issu du droit coutumier : les pâturages sont hérités de père en fils
La population de Malaimbandy, composée fortement d’immigrants, est constituée essentiellement de la population autochtone Sakalava, et de population immigrante composée de Bara et de Betsileo. Les communautés Betsileo se concentrent autour du chef-lieu de Commune, et se consacrent plutôt à l’agriculture et à la riziculture, et à la vente de biens et services. Traditionnellement, les Sakalava et les Bara se consacrent à l’élevage de zébus, et continuent de s’y consacrer. Notamment, les Bara ont ramené avec eux leur tradition quasi nomade d’élevage de zébu, ce qui explique en partie la transhumance utilisée comme mode d’élevage, ainsi que le mode d’attribution des pâturages.
Les pâturages sont hérités de père en fils, au même titre que les zébus. La population est essentiellement organisée en société lignagère, où plusieurs familles sont issues d’un même ancêtre (une lignée), et une communauté est constituée de plusieurs lignées. Les « mpitanahazomanga » sont les ainés de chaque lignée, et ils ont hérité du droit d’usage et de gestion des pâturages hérités de leurs ancêtres. Les « mpitazonahazomanga » perpétuent le mode de gestion lignagère des pâturages, chacun en transmettant les délimitations et les règles d’usage de leurs pâturages à leurs descendants.
Les « mpitanahazomanga » rencontrés au cours de cette étude ont tous reconnus qu’ils possèdent des droits d’usage des pâturages issus de droits coutumiers, et non des droits de propriété. En effet, ils reconnaissent que les terrains appartiennent à l’Etat, et que leurs droits d’usage ne sont reconnus qu’entre les membres des communautés environnantes. Toutefois, compte tenu de l’importance des droits coutumiers et de la notion de « tanin-draza » ou terres des ancêtres pour les Malgaches, cette reconnaissance pourrait être une reconnaissance de façade face à un Etat qui possède désormais le pouvoir. Dans le cas où l’Etat décide de réquisitionner les terrains en question, ils affirment qu’ils seraient prêts à céder les lieux. Néanmoins, si d’autres entités autre que l’Etat (entité privée, personne extérieure à la communauté) ont l’intention d’utiliser ou accaparer les terrains qu’ils utilisent comme pâturages, ils exigent que ces nouvelles personnes ou entités viennent d’abord leur demander la permission.
Pâturages et propriété collective
Même si l’usage des « tanin’aômby » est bien délimité pour chaque lignée, ils n’en demeurent pas moins des possessions collectives, considérées comme appartenant à l’ensemble de la communauté constituée par les différentes lignées. D’après les témoignages reçus, il semble clair qu’un modèle où une part des pâturages leur est attribuée individuellement à travers la certification foncière ne les intéresse guère.
En effet, pour permettre aux propriétaires de retrouver plus facilement les zébus en cas de perte ou de vol, l’on fait généralement appel à des « mpanara-dia » qui sont des personnes possédant un don particulier pour retrouver et suivre les traces des zébus perdus. Dans le cas où les traces suivies se perdent au niveau d’un pâturage particulier, la communauté possesseur de ce pâturage est tenue de procéder au remplacement des zébus perdus ou volés, car cela veut dire qu’ils sont en partie responsable de la perte ou du vol des zébus en question. Si les pâturages font donc l’objet de possession individuelle, cela reviendrait à exposer le propriétaire aux risques de subir tout seul les coûts de remplacement de zébus perdus ou volés, ce qui est trop lourd à porter financièrement pour une seule famille. Ils n’envisagent donc pas que les pâturages puissent être considérés comme des propriétés individuelles. Or, lors de notre entretien avecle Maire, il envisage d’octroyer des certificats fonciers aux propriétaires de zébus et de les inciter à faire du reboisementsur ces terrains. La légitimité d’une telle démarche auprès de la population reste encore à prouver.
En outre, les pâturages sont destinés aux zébus, et ne sont pas considérés comme pouvant être mis en valeur à des fins agricoles, où à d’autres usages, même s’ils sont cultivables et constructibles. Seules les personnes qui possèdent du bétail sont donc tenus de les utiliser. Dans le cas où une personne, ou une famille, ou une lignée vienne à perdre son bétail, il n’a plus droit à l’usage légitime des pâturages et il se doit de les laisser à d’autres membres de la communauté qui possède encore du bétail. Ceci renforce l’importance de la propriété collective de ces pâturages à la communauté, et de leur attribution à l’usage exclusif du bétail.
Un élevage plutôt contemplatif que générateur de revenus
Un des spécificités de l’usage des pâturages à Malaimbandy, c’est que l’élevage se distingue par son caractère plutôt contemplatif que générateur de revenus. En effet, la possession de zébus est un signe de richesse en soi, et plus le nombre est élevé, plus le propriétaire est considéré comme riche par la communauté environnante. Par contre, il n’est constaté aucun signe extérieur visible de la mise en valeur de cette richesse potentielle par une meilleure qualité de vie, surtout si on se réfère aux indicateurs de développement tels que l’insuffisance pondérale chez les enfants de moins de cinq ans,la diversification alimentaire pour prévenir l’insuffisance alimentaire, la qualité et la salubrité de l’habitat, ou encore l’accès à l’eau potable. Le propriétaire de zébus ne procède à la vente de zébus que pour des causes extrêmes comme une situation sanitaire préoccupante, ou pour remplir des obligations sociales et familiales (organisation d’obsèques ou mariages…).
Au cours des focus group réalisés, plusieurs personnes ont admis avoir plusieurs dizaines, ou même centaines de zébus pour certains, mais aucun signe distinctif extérieur ne permettait de les différencier des autres membres de la communauté. Tous semblaient vivre dans une situation de pauvreté et de précarité égale.
Pâturages et insécurité
Depuis que l’exportation de la viande de zébus a été légalement autorisée par le pouvoir en place, les vols de zébus par les dahalo ont connu une intensification sans précédente. En un an et trois mois, selon le Maire de la Commune, 1.789 zébus se sont volatilisés suite aux attaques et vols perpétrés par les dahalo à Malaimbandy. Pour la Commune voisine, Ankilizato, le nombre de 30.000 têtes de zébus a été réduit à seulement 10.000 têtes de zébus en l’espace de deux ans. Ces vols organisés provoquent une insécurité au niveau des propriétaires et des villageois, et les poussent à faire un élevage quasi sauvage car plus le bétail est rassemblé près des villages et des espaces d’habitation, plus le risque de se faire attaquer par des bandes de dahalo armés sont élevés. Ils ont donc intérêt à laisser le bétail loin des villages, dans les zones difficiles d’accès, et ceci expliquant en partie le besoin d’espaces très étendues pour les pâturages. Pour protéger le bétail menacé de disparition, le Maire de Malaimbandypropose la suppression de l’exportation de zébus pour réduire le phénomène de dahalo.
Questions de réflexion foncière
Suite à ces différents résultats, deux constats incitent à poser des questions de réflexion relatives au foncier sur les pâturages.
Dans un premier temps, l’on constate que les propriétaires de zébus sont doublement vulnérables : ils sont vulnérables par rapport à leur bétail quotidiennement menacé de vols par les dahalo armés, et ils sont aussi vulnérables par rapport à leur mode d’occupation des pâturages.
En effet, face à la pression foncière et au besoin d’expansion des autres secteurs (agricole, tourisme, élevage, mines…), il semble nécessaire de voir dès à présent les statuts des terresutilisées comme pâturages. Selon une première appréciation, les pâturages sont situés soit sur des domaines privés de l’Etat, soit sur des domaines privés. Néanmoins, face à l’étendue des terres considérées, il est plus probable de parler de domaines privés de l’Etat, car seuls un nombre réduit des propriétaires reconnaissent posséder des titres de propriété sur les terres occupées. Face à cette utilisation de fait, et face à l’absence de mise en valeur concrète, ces terres peuvent être réquisitionnées à tout moment par l’Etat pour d’autres usages, ce qui rend vulnérables les éleveurs qui les utilisent.
A titre d’exemple pour illustrer ce cas, dans une Fokontany situé à la lisière sud de Malaimbandy, une société chinoise a obtenu un permis d’exploitation minière sur une zone considérée comme pâturage par les villageois et ces derniers ont dû renoncer aux lieux. Dans la même optique dans la Commune d’Ankilizato, la Commune a contracté avec un exploitant agricole un contrat d’occupation d’une surface de 200ha pour une culture de maïs à grande échelle. Dans les deux cas, les propriétaires de zébus concernés n’ont pu faire valoir leurs droits d’occupation car ils n’avaient aucun justificatif valable que l’affirmation selon laquelle leurs zébus les utilisent.
Dans un second temps, l’on constate aussi un usage de fait qui n’est pas sans créer des situations potentiellement conflictuelles avec d’autres usagers qui ne sont pas des éleveurs, en particulier les communautés particulièrement intéressées par l’agriculture. En effet, face à l’étendue des surfaces considérés comme pâturages et qui sont occupés de fait par l’usage du droit coutumier, ces terres ne peuvent faire l’objet de mise en valeur par les autres membres de la communauté, ce qui réduit la diversité d’utilisations possibles d’une part, et d’autre part, limite l’investissement par les autres secteurs porteurs comme l’agriculture, alors même que l’élevage de zébus est menacé par les vols et n’est plus rentable et qu’il n’apporte pas d’amélioration significative sur la qualité de vie des éleveurs.
A titre d’illustration, àAnkilizato, un conflit oppose un propriétaire de zébus à un groupe d’agriculteurs qui ont mis en valeur des terrains considérés comme pâturages. Le conflit, irrésolu au niveau du Conseil Communal, a été porté au niveau du Tribunal de première instance de Mahabo.
Ces deux constats posent les fondements de questions auxquelles un cadrage juridique et stratégique approprié pourrait répondre :
– Quels statuts pour les pâturages et comment concilier les pâturages avec la sécurisation foncière ? S’ils demeurent des domaines privés de l’Etat, ils ne sont pas sécurisés et peuvent être, à long terme, utilisés par des tierces personnes ou par l’Etat lui-même pour d’autres activités, menaçant ainsi l’élevage de zébus, qui est une pratique à la fois profondément culturelle et source de revenus potentiels pour les communautés. Ils ne peuvent relever du domaine privé car le mode de gestion utilisé est plutôt communautaire, et la propriété privée semble incompatible avec le mode fonctionnement actuel de es zones. Enfin, ils ne peuvent relever des PPNT puisqu’ils ne sont pas mis en valeur, et que leur surface étendue rend difficile leur certification.
– Quel mode de gestion à adopter ? Le mode de gestion actuel fonctionne à priori, sauf que les cas de conflits communautaires générés par ce mode peuvent affaiblir la cohésion sociale à moyen terme, d’autant plus qu’il n’y a pas à proprement parler de structure de gestion communautaire. Aussi, l’on ne peut ignorer que ce mode de gestion basé sur les lignages peut créer des situations discriminatoires et exclusivesau détriment d’autres catégories sociales : les nouveaux venus, les femmes, les jeunes….
– Comment concilier le mode d’élevage actuel avec la logique d’aménagement du territoire ? Une meilleure organisation de l’espace à travers un schéma d’aménagement communal serait positive mais conduira impérativement à une délimitation et à une réduction des espaces de pâturages. Or, le mode d’élevage actuel nécessite une surface très étendue et n’implique que très peu les éleveurs dans la recherche d’alimentation pour le bétail. Délimiter et réduire les pâturages auront des impacts sur le mode d’élevage, qui nécessitera désormaisune certaine mise en valeur et une préservationdes zones délimitées par les éleveurs pour permettre à leur bétail d’avoir de l’herbe tout au long de l’année. En outre, ces espaces doivent être protégés des attaques et des vols, ce qui nécessite aussi des stratégies de lutte contre l’insécurité.
Quelques pistes sont possibles à explorer, mais dont la mise à l’échelle au niveau régional, ou national, dépendra des spécificités des autres zones. Une de ces pistes est de les inclure dans les zones à statut spécifique et de déterminer leur mode de gestion en se basant sur des principes de gestion communautaire et collectif. Une autre piste est de leur créer un statut à part. Toutefois, la question de la durabilité des pâturages dans le temps se pose à long terme, en sachant que ce mode d’élevage dans sa forme actuelle est voué à disparaître, non seulement à cause de la menace de la réduction du nombre de zébus, mais aussi dans une logique de développement où les autres secteurs auront besoin d’espaces pour s’investir. S’il ne reste plus de zébus et si le mode d’élevage change, les pâturages doivent-ils rester comme tels ? Une autre dimension à ne pas négliger est l’aspect économique. Si l’on considère la valeur économique des zébus et l’étendue de l’espace utilisé, l’usage des pâturages doit-il être gratuit pour les éleveurs ? Si cet usage n’est pas gratuit, quelle sera la forme de cette participation financière et à quoi servira-t-elle ? Peut-elle être liée à la fiscalité locale et être utilisée dans une perspective de mise en valeur et de préservation des pâturages ? Enfin, il faudrait aussi ne pas oublier la dimension culturelle de ces pâturages et de l’élevage de zébus. Au-delà des questions juridiques et économiques, parler de pâturages à Malaimbandy revient aussi à parler de l’identité de toute une communauté.
[1] Les éleveurs appartiennent essentiellement aux ethnies Bara et Sakalava. Ces deux ethnies sont connues pour leur tradition nomade et leur économie pastorale, avant de se sédentariser