Observatoire du Territoire

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Sécurisation foncière dans l’Itasy : confrontée à des enjeux multiples

Publié le : 18 Jul 2016

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S’étendant sur 6.993 Km² sur les hautes terres centrales, la région de l’Itasy est la plus petite Région de Madagascar en termes de superficie. Dotée d’un sol volcanique d’une fertilité exceptionnelle, l’agriculture constitue de loin la principale activité de la population : elle emploie un peu moins de 90% des femmes et 87 % des hommes actifs de la Région, et 85 % des surfaces cultivables sont investis par les activités agricoles. Les céréales comme le maïs et le riz, les fruits et les légumes sont les principaux produits. Outre son rôle de grenier céréalier et maraîcher, la présence de grandes étendues lacustres fait de la région une destination touristique très prisée ainsi qu’une source d’approvisionnement des villes environnantes, dont la capitale, en produits halieutiques. La production représente environ 35% de la pêche nationale. 

La terre tient une place primordiale dans les activités de production et la population y attache une grande valeur car elle est considérée à la fois comme principal capital économique mais véhicule aussi l’identité sociale et culturelle des communautés locales. Bien que l’Itasy dispose d’une grande potentialité agricole, la sécurisation foncière reste néanmoins incertaine. Depuis l’époque coloniale et en passant par les premières républiques, la région a été le théâtre de plusieurs opérations qui ont abouti actuellement à un foisonnement de statuts fonciers. Cela fragilise les droits des paysans qui occupent et exploitent les terrains.

 

Une prédominance des propriétés coloniales

Les concessions coloniales, vastes exploitations agricoles immatriculées au nom d’anciennes compagnies coloniales, couvrent en grande partie les Districts de Miarinarivo et de Soavinandriana. Malgré le départ des entreprises dans les années 60 et 70, l’absence de prescription systématique de droits initiée par l’Etat sur ces terrains titrés, rend vulnérable les occupants actuels. Il s’agit de milliers de familles, généralement des descendants des ouvriers ou des migrants qui sont considérés comme des squatters. 43 propriétés coloniales couvrant une superficie totale d’environ 6.000 Ha ont été recensées. Les prescriptions acquisitives, principal recours juridique mobilisable par les paysans pour régulariser leur situation, sont difficiles à instruire dans la pratique et les rares cas qui aboutissent ont pris plusieurs années. Quelquefois, la sécurisation des agriculteurs sur les terrains coloniaux est rendue plus difficile lorsque les terrains sont concédés à des sociétés d’Etat malagasy ou lorsque des personnes se revendiquant comme descendants du colon reviennent dans la région.

 

Un cadastre inachevé à Miarinarivo

D’autre part, une vaste opération cadastrale d’immatriculation collective a été engagée en 1938 et couvre la presque totalité du district de Miarinarivo. Faute de moyens financiers, l’opération n’a pas pu aboutir jusqu’à sa finalité de délivrer des titres individuels au nom des occupants. Aujourd’hui, les procès verbaux collectifs de bornage établis lors de la première phase de l’opération, ou les jugements émis à l’époque par les Tribunaux Terriers ne correspondent plus aux occupations sur le terrain. Souvent, ces documents sont restés au nom d’un grand – parent décédé alors que les parcelles ont subi différentes transactions de vente, de partage, ou d’héritage sans que les mutations n’aient été formalisées. Le décalage entre le nom inscrit dans les documents administratifs et juridiques, et l’occupant réel sur le terrain peut parfois être source de conflits.  

Une inscription limitée des droits fonciers dans l’Ifanja

Outre les concessions coloniales et les cadastres inaboutis, certaines localités comme la Commune Rurale d’Ifanja, dans le District de Soavinandriana, présentent une particularité en termes de statut foncier. En effet, en 1974, une initiative dénommée Zone d’Aménagement Foncier ou ZAF, visant à distribuer des terres et à accroître la production rizicole a été implantée par le Ministère de l’Agriculture. Elle a consisté à délimiter la vaste plaine d’Ifanja, à immatriculer l’ensemble au nom de l’Etat, à constituer et à redistribuer des lots de terrains de un ou de 5 ha aux familles. Des restrictions concernant l’usage, le morcellement, la vente, ou la mise en location des parcelles sont consignées dans des cahiers de charges. Actuellement, les terrains dans les ZAF sont restés titrés au nom de l’Etat malgré les dispositions des cahiers de charges qui stipulent le transfert du droit de propriété aux occupants après quelques années de mise en valeur. A cette situation d’insécurité juridique s’ajoute le fait que dans la pratique, l’usage et la tenure réelle sur les terrains ne correspondent plus à leur vocation initiale.

 

Des titres fonciers…

Les deux circonscriptions foncières de Miarinarivo et d’Arivonimamo assurent la gestion des terrains domaniaux et de la propriété privée titrée dans la Région d’Itasy. En tout, plus de 37.000 propriétés titrées sont gérées par ces bureaux pour l’ensemble de la Région. Outre l’instruction des demandes individuelles d’immatriculation, les circonscriptions s’attellent aussi aux opérations collectives de régularisation des droits de propriété comme l’ODOC ou Opération Domaniale Concertée, ou la transformation des jugements cadastraux en titres fonciers. Environ 70 % des titres créés pour le district de Miarinarivo proviennent de ces procédures. Au niveau des bureaux, la conservation des archives en papier apparait comme un défi majeur à relever dans la cadre de la réforme foncière. Les responsables déplorent aussi le faible taux de formalisation des transactions foncières, créant une situation d’obsolescence des certaines inscriptions par rapport aux réalités de terrain.

 

… en coexistence avec des certificats fonciers

Aux deux circonscriptions foncières se sont rajoutés vingt – six guichets fonciers communaux, conformément à la politique de décentralisation de la gestion foncière engagée par l’Etat en 2005. Depuis 2007, ces dispositifs ont délivré environ 9.000 Certificats fonciers, pour une superficie totale de 3.700 ha. Au départ des institutions d’appui, plusieurs structures sont arrivées à prendre en charge leur fonctionnement. Si les deux systèmes cohabitent favorablement, les échanges de données concernant les nouveaux terrains immatriculés et certifiés font défaut jusqu’à maintenant, à l’instar d’ailleurs des autres Guichets et services fonciers à Madagascar.

Par ailleurs, l’existence de ces structures de proximité pour formaliser le droit de propriété n’a pas encore impacté de manière significative sur la pratique des petits papiers et les transactions informelles qui demeurent des pratiques courantes dans les Communes Rurales. Cette prévalence des modes informels de sécurisation résulte d’une part de la forte résilience des systèmes coutumiers de reconnaissance, et d’autre part traduit la faible connaissance des procédures formelles par les usagers.

 

Une forte pratique des activités de faire-valoir indirect

Le rôle de ces structures administratives dans la sécurisation des pratiques de faire – valoir indirect reste tout aussi incertain, alors que les systèmes de métayage et de fermage concerneraient environ 70 % des terrains dans l’Itasy. Quoique très répandue, les dispositions légales interdisant depuis les années 1960 la pratique du métayage et du fermage rendent difficile la protection formelle du propriétaire ou du locataire. Généralement, les contrats demeurent verbaux. Les deux parties sont toutefois exposées à des risques et à l’insécurité, le propriétaire pourrait être confronté à la certification illégitime de son terrain, et le métayer pourrait être expulsé à tout moment du terrain.

 

Des conflits fonciers marquants

Les conflits et des litiges fonciers dans l’Itasy figurent parmi les plus élevés, sinon parmi les plus médiatisés à Madagascar. Une étude sortie par l’Observatoire du Foncier en 2012 a montré que les litiges fonciers dans l’Itasy représentent entre 16 et 20 % des affaires civiles, soit une centaine d’affaires annuelles portées devant les tribunaux. Parmi les cas les plus médiatisés apparaissent la révolte sanglante des Fokonolona dans le Fokontany d’Ankorodrano en 2006, le cas du village de Faharetana Imerintsiatosika dans un conflit qui oppose les habitants à un investisseur agricole privé, et plus récemment une société minière chinoise qui fait face aux oppositions des habitants de Soamahamanina.

 

Des pistes de résolution envisageables, entre la régularisation de la situation des occupants, …

L’analyse de ces différentes situations converge vers quelques constats – clés : l’accès aux informations foncières et la connaissance des procédures et de la législation par la population sont encore faibles et constituent un frein à la sécurisation des droits fonciers dans l’Itasy. L’Etat, les Organisations de la Société Civile, et les projets intervenant sur le foncier ont un grand rôle à jouer dans la mise en œuvre d’une stratégie opérationnelle visant à asseoir une sécurité foncière qui garantit un développement économique et une paix sociale durable.

En janvier 2016, le Président de la République de Madagascar a prononcé dans son discours la régularisation des droits des occupants sur les terrains de grande superficie laissés à l’abandon par leur propriétaire, notamment les terrains coloniaux. La région Itasy a été choisie parmi les régions pilotes pour mener le transfert à l’Etat et la redistribution des parcelles aux occupants. D’autre part, la mutation des héritages par décès a fait l’objet d’une campagne d’instruction gratuite. Les actions dans ce sens ont déjà été initiées par la Direction Générale des Services Fonciers. Parallèlement, l’administration a engagé une vaste opération de finalisation des opérations cadastrales inachevées au niveau de plusieurs circonscriptions foncières, parmi lesquelles le site de Miarinarivo.

 

… la définition d’un plan de communication adapté, …

Dans tous les cas, les initiatives d’information et de rapprochement de l’administration vis-à-vis des populations, telles que les audiences foraines menées dans les localités de Soavinandriana, Analavory, Miarinarivo, et Arivonimamo, méritent à être répliquées et conduites au niveau des autres Communes éloignées. Dans le long terme, un plan de communication devrait être établi et mis en œuvre sous le suivi d’un comité de pilotage régional. La mise en œuvre de ce plan devrait être menée en collaboration avec les parties prenantes de la Région d’Itasy. Dans ce sens, la région constitue la zone d’intervention de trois grands projets de sécurisation foncière. Il s’agit du projet ARSF financé par l’Union Européenne et l’AFD, du projet BVPI financé par la Banque Mondiale à travers le fonds PURSAPS, et le projet CASEF financé par la Banque Mondiale. Leurs appuis permettraient dans l’ensemble la redynamisation des Guichets fonciers communaux dans la région.

 

… et la coordination des actions entre les acteurs

Certains textes portant sur la levée de l’interdiction du faire – valoir indirect et la régularisation des statuts comme les Zones d’Aménagement Foncier relèvent de la compétence du Ministère de l’Agriculture. Une collaboration étroite interministérielle serait donc à asseoir dans ce sens. L’engagement de l’Etat à améliorer la sécurisation des droits fonciers de la population est déjà manifesté dans la nouvelle Lettre de Politique Foncière adoptée en 2015 qui prône à faire du foncier un levier de développement. Pour que la population et les usagers puissent au final bénéficier des retombées de cette politique foncière, la coordination des stratégies entre les différents ministères impliqués et avec les partenaires techniques et financiers est essentielle.