Publié le : 04 Dec 2017
Catégories : Economique, Mise en débat, Social
Cet article est un extrait de l’ouvrage
Burnod, P., Rakotomalala, H., Andriamanalina, B. S., & Di Roberto, H. (2016). Composer entre la famille et le marché à Madagascar. Afrique contemporaine, (3), 23-39.
http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-3-page-23.htm
À Madagascar, 400 000 jeunes[1] arrivent chaque année sur le marché du travail. Ces jeunes, plus instruits que leurs parents et conscients de la diversité des options professionnelles, se retrouvent dans le secteur agricole par choix ou par absence d’alternatives réelles. Forte d’un énorme potentiel, l’agriculture est également caractérisée par de nombreuses contraintes, notamment en termes d’accès au foncier. Au fil des générations et de la forte croissance démographique, les superficies moyennes des exploitations se sont réduites. Sur la base de projections établies à partir des derniers recensements agricoles (1984-1985 et 2004-2005), elles pourraient être réduites de moitié en l’espace de quarante ans : limitées à 1,2 ha en 1984, égales à 0,87 ha en 2004, elles ne seraient plus que de 0,61 ha en 2024.
Cette réduction des superficies des exploitations agricoles résulte des processus de partage lors des héritages, d’autant que le nombre d’enfants par femme demeure très élevé[2]. Pourtant, le pays est réputé pour ses vastes ressources foncières : en dehors des espaces forestiers, plus de 10 millions d’hectares – notamment des prairies herbacées ou arborées appropriées par les éleveurs et utilisées pour l’élevage extensif – seraient cultivables.
Une enquête réalisée en 2011 puis en 2015 auprès de 1860 ménages dans 9 communes et 4 régions (Menabe, Vakinankaratra, Analamanga et Diana) dans le cadre de l’étude « Perception et Effets de la Certification Foncière à Madagascar (PECF)» (Observatoire du Foncier, IRD &Cirad) a montré que la grande majorité des jeunes ménages enquêtés déclarent tous posséder au moins une parcelle agricole (seulement 6,25 % des ménages n’en possèdent aucune). Il y a donc très peu de sans terre. Néanmoins, les ménages jeunes disposent de superficies inférieures à celles de leurs aînés (1,5 ha contre 2,16 ha) et les modalités d’accès au foncier évoluent. Des disparités sur la taille des exploitations existent cependant entre les régions de Madagascar et même au sein d’une même région.
L’héritage, un droit au foncier associé au respect d’obligations sociales.
L’accès à la première parcelle se fait le jour de leur mariage, en réponse aux obligations des parents de transmettre la terre des ancêtres, en guise de récompense pour le travail fourni au sein de la famille et, implicitement, dans l’attente que le jeune ménage remplisse ses obligations familiales. Dans la majorité des cas, cette première parcelle constituera leur part d’héritage (ou une part de leur héritage) au décès des parents. Ils l’utilisent et la valorisent à leur guise mais ne peuvent pas, du vivant des parents, vendre cette terre (sauf condition d’urgence et après accord des parents, voire de la fratrie – ce qui peut être in fine fréquent).
L’héritage, un mode d’accès à la terre de plus en plus limité.
De façon globale, l’héritage demeure le principal mode d’accès au foncier. Deux tiers des ménages jeunes ont hérité d’au moins une parcelle. Cependant, la superficie totale des parcelles obtenue par héritage diminue au fil des générations (les jeunes ont hérité en moyenne de 1,07 ha contre 1,44 ha pour les seniors) et ce, même si la grande majorité des femmes et plus d’un tiers des hommes n’en sont pas bénéficiaires.
En effet, d’après les données de l’enquête PECF, 64 % des ménages ont hérité d’au moins une parcelle, ce qui signifie que 36 % n’ont hérité d’aucune parcelle. Cette absence est en partie expliquée par l’origine : 56 % des ménages dont le chef est migrant ou non originaire n’ont pas hérité faute d’être resté dans le village familial. Cela dépend également des situations familiales : 25 % des chefs de ménage autochtones n’ont pas non plus obtenu de parcelles de leurs familles. Cela est possible lorsque les terres familiales sont trop éloignées pour être cultivées, trop réduites pour être partagées entre tous les fils ou lorsque les pères décident de ne pas transmettre leur patrimoine aux enfants nés d’un premier mariage ou hors union.
De moins en moins de terres à défricher.
Les fronts pionniers ou les terres à mettre en valeur deviennent de plus en plus rares dans les communes étudiées. Seuls 4 % des ménages jeunes ont pu défricher des parcelles pour étendre leur exploitation (contre 17 % des seniors) et les terres défrichées sont de plus petite taille qu’auparavant (0,65 ha contre 1,58 ha pour celles de leurs aînés). De plus, il existe de fortes différences régionales et intra-régionales. Dans le Menabe (ouest de l’île), la défriche demeure encore possible à Ampanihy (pour faire du maïs, culture de substitution du riz), mais elle est rare dans les autres communes. Les terres non mises en valeur ne sont pas cultivables faute de pluviométrie suffisante ou d’irrigation. Dans les régions du Vakinankaratra (hautes terres) et de Diana (nord de l’île), l’agriculture, l’élevage et l’habitat occupent déjà l’ensemble de l’espace communal.
Un recours de plus en plus fréquent aux marchés fonciers
Faute de pouvoir ouvrir de nouvelles parcelles et héritant de superficies limitées, les jeunes recourent aux marchés fonciers. Une minorité des ménages jeunes fait appel au marché du faire-valoir indirect (FVI) incluant location, métayage et emprunt à titre gratuit (15 % des ménages jeunes contre 8 % des seniors). Ce faible recours au FVI s’explique dans la plupart des communes étudiées par une faible offre de parcelles (les agriculteurs cultivent eux-mêmes leurs rizières à la différence des propriétaires fonciers au sein de grands périmètres irrigués) et par la présence de marchés d’achat-vente actifs et accessibles.
Le marché foncier est en effet déterminant pour l’accès des jeunes à la terre. Plus de la moitié des ménages jeunes (57 %) ont eu recours au marché pour constituer leur patrimoine foncier et 25 % des jeunes ménages ont constitué leur patrimoine foncier sur la seule base du marché. Cependant, l’information sur la mise en vente d’une parcelle ne circule qu’au sein des réseaux familiaux et de proximité favorisant la participation des proches, seniors et jeunes, aisés ou vulnérables.
De façon générale, même si le recours au marché foncier est de plus en plus fréquent, les superficies acquises par les jeunes sont en moyenne plus faibles que celles achetées par les ménages seniors (1,21 ha pour les jeunes contre 1,6 ha pour les seniors), et leur qualité peut également être moindre (terres de colline et non de bas-fonds propices à la riziculture irriguée). L’achat de terre pour construire son patrimoine foncier représente une option nécessaire mais les opportunités d’achat et les superficies proposées demeurent limitées et freinent la constitution d’exploitations de plus grandes superficies.
Migrer pour construire son accès au foncier.
Pour s’assurer un meilleur accès au foncier, deux stratégies de migration s’offrent aux jeunes. La première repose sur une migration de travail temporaire dans le but d’épargner et d’investir dans la terre dans les communes d’origine car les prix du foncier demeurent élevés au regard des revenus des ménages. Si les jeunes n’ont pas suffisamment réussi à thésauriser dans l’élevage, ils optent pour une migration de travail saisonnière de quelques mois ou quelques années en vue d’accumuler le capital nécessaire en tant qu’employés de maison, porteurs, vendeurs ambulants dans les grandes villes ou en tant que salariés agricoles dans des zones de fortes productions agricoles (bassin de production rizicole).
La seconde stratégie est celle d’une migration définitive vers de nouveaux territoires ruraux pour débloquer l’accès au foncier. Ces migrations se font vers des communes de moindre pression foncière mais rarement dans des zones isolées. Or, les terres agricoles potentielles, même si elles sont en deçà des millions d’hectares annoncés, sont en effet éloignées des lieux actuels d’habitation, situées dans des environnements dépourvus de services publics (écoles, dispensaires), souvent appropriées par des éleveurs ou contrôlées par des bandes organisées de voleurs de bétail.
Quelques rares projets de développement ont tenté de débloquer l’accès au foncier dans ces zones isolées dans le Moyen-Ouest – conduits dans les années 1990et 2000, mais avec un succès limité car l’accent a été mis sur le volet foncier et fait au détriment d’une vision plus systémique des conditions d’installationd’une exploitation agricole (de crédit, d’accès à du petit matériel et de liens aux marchés etc).
Recommandations
L’appui aux jeunes dans le secteur rural, et en particulier relativement au foncier, semble pouvoir se décliner selon deux orientations complémentaires:
Une première orientation, découlant du fait qu’une partie des jeunes souhaite rester dans leur territoire malgré une diminution de leurs superficies agricoles, est de promouvoir une intensification agricole (plusieurs cycles de cultures sur une même superficie), une meilleure rémunération des produits agricoles (plus de revenus par unité de surface), mais également un accès au foncier plus aisé (l’encouragement à la location et au métayage sur les parcelles peu valorisées, les réserves foncières au niveau des communes).
Une seconde orientation est de réfléchir, aux possibilités d’identification de terrains non encore appropriés et non utilisés dans les communes isolées et d’amélioration de leur environnement (sécurité, services publics, connexion aux marchés des produits et des services, etc.). Cela suppose d’inclure conjointement dans les réflexions sur les politiques et instruments publiques à déployer la sécurisation des pâturages (trop souvent considérés comme des zones non appropriés et à cultiver).
Cet article est un extrait de l’ouvrage
Burnod, P., Rakotomalala, H., Andriamanalina, B. S., & Di Roberto, H. (2016). Composer entre la famille et le marché à Madagascar. Afrique contemporaine, (3), 23-39.
http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-3-page-23.htm
[1] La Politique nationale de la jeunesse (PNJ) définit les jeunes comme étant des individus âgés de 14 à 35 ans. Cette définition sera considérée pour la catégorie “jeune” de l’article
[2] Supérieur à sept dans les années 1960, l’indice synthétique de fécondité est estimé actuellement autour de 4,5 enfants par femmes (Nations unies, 2013 ; Sourisseau et al., 2015).